Tranches de vie pour débattre autrement de la politique des transports

Chaque jour, ils sont nombreux à quitter leur domicile dès 5h30 pour prendre leur tram, leur métro, leur bus ou leur V’Lille, direction la gare de Lille Flandres, pour attraper le premier TGV Lille-Paris de 5h51. Ils arriveront à Paris-Nord vers 7h15. A Paris, ils prennent pour la plupart un métro, un RER ou un TER, direction la Défense, Orly ou Creil avec un temps de trajet supplémentaire qui peut dépasser une heure. Au total, de porte à porte, le temps de parcours peut dépasser les 2 heures. Il dépasse presque toujours 1h30… si tout va bien, c’est-à-dire s’il n’y a pas de travaux, de grève ou de problèmes de gestion du trafic sur des lignes ferroviaires surchargées, où le moindre grain de sable produit un effet domino. Certains jours, ils feront une « grasse matinée » toute relative et prendront le TGV de 6h40, voire 7h04, plus rapide car ne passant pas par Arras. Il gagneront 20 minutes de temps de parcours, mais arriveront à leur travail plus tard.

Il est bien évident, que le soir, il s’agira de faire le trajet en sens inverse. S’ils partent souvent très tôt, c’est aussi pour rentrer tôt le soir (en réalité au mieux à 18h) et ne pas laisser le conjoint s’occuper seul des enfants, le matin et le soir.

Une folie physique et psychique

Cette folie, ils la partagent avec des dizaines de milliers d’individus qui partent travailler en train également à Paris depuis Dunkerque, Arras, Douai, Valenciennes, Amiens, Compiègne ou Creil.

Cette folie est le quotidien de certains habitants depuis 10, 15, 20, parfois 25 ans.

Cette folie est aussi un luxe comparé à tous les individus, souvent pris au piège de la maison individuelle construite en périphérie, qui oblige leurs occupants à prendre leur véhicule pour souvent plus d’une heure de route, ou parfois beaucoup plus du fait d’une autoroute A1 qui n’était pas calibrée pour gérer un aménagement du territoire « au hasard des opportunités foncières », du fait d’élus inconscients qui ont ouvert à l’urbanisation des secteurs uniquement accessibles depuis la route. Contrairement au train, la voiture n’est pas un moment de travail, ni de repos.

Cette folie est le fruit d’une logique qui nous dépasse : créer de nouvelles infrastructures[1] toujours plus performantes et rapides pour, au final, passer plus de temps dans les transports. Les distances qui s’allongent parfois de manière déraisonnable anéantissent tous les gains liés à la vitesse. Mais, il paraît que les habitants devraient se satisfaire d’avoir du travail, quand bien même cela leur coûte 4 heures de transport quotidiennement.

Cette folie pourrait cependant être atténuée par des aménagements et notamment par le télétravail. Il n’est pas rare que les « navetteurs » profitent d’une journée à domicile[2]. Il est par contre beaucoup plus rare de voir ces navetteurs disposer de davantage de jours à la maison. Si les nombreux cheminots faisant le trajet Lille-Paris peuvent difficilement prétendre au télétravail, les raisons qui empêchent les individus de travailler davantage à la maison sont souvent obscures et relèvent clairement du « présentéisme » ou d’un « marche ou crève » implacable et impitoyable : « sois présent ou démissionne ». L’empathie pourrait néanmoins engendrer très probablement des gains de productivité pour des salariés qui ne peuvent raisonnablement pas tenir physiquement un rythme aussi infernal. Mais la peur des innovations sociales est souvent plus forte que la qualité de vie des salariés. Marche ou crève.

Il est nécessaire de recadrer le débat sur les transports !

Les débats qui entourent la réalisation de grandes infrastructures de transports traitent bien entendu de la question du bien-être des habitants, de leur accès à l’emploi. Il est bien entendu que le débat qui a entouré la future ligne ferroviaire Roissy-Picardie souligne l’intérêt du projet pour les Picards travaillant à Roissy et qui pourront voir leur temps de parcours allégé. Il est bien entendu que le débat en cours autour du projet de RER express entre la métropole lilloise et l’ex-bassin minier du Nord Pas-de-Calais aborde également la question des gains de temps pour les personnes qui galèrent aujourd’hui sur l’autoroute et qui pourraient à l’avenir, prendre le train. Du point de vue des émissions de gaz à effet de serre, le raisonnement est également solide et la démarche nécessaire. Il est vrai que nos aires urbaines se sont étendues (c’est une réalité, quand bien même cette extension est le fruit nous l’avons dit d’une absence de politique d’aménagement élaborée à la bonne échelle) et qu’il est nécessaire de créer les infrastructures capables de gérer les nouveaux flux. Néanmoins, la manière dont les politiques sont construites nous interpelle et nous amène à plusieurs réflexions.

1/ Non, il n’est pas normal pour un individu de passer quotidiennement, ni 2 heures, ni 4 heures dans les transports pour aller travailler et ceci quel que soit le mode de déplacement.

2/ Oui, il faut développer les transports en commun. Construire de nouvelles infrastructures de transports. Surtout quand ces infrastructures sont ferroviaires et qu’ainsi elles permettent de limiter les émissions de gaz à effet de serre.

3/ Non, la politique des transports n’est pas là pour accompagner une évolution absurde de notre société qui génère des rythmes de vie infernaux ; elle n’a pas non plus vocation à palier l’absurdité des politiques d’aménagement qui ont engendré la construction de logements éloignés des zones économiques et des infrastructures ferroviaires alors que nous disposons d’un nombre incalculable de gares dans des territoires qui auraient pu être valorisés[3]. La politique des transports joue aujourd’hui le rôle de pansement de politiques défaillantes et il est temps que cela change.

4/ Oui, la politique des transports doit être pensée en accompagnement de la politique d’aménagement du territoire, lequel doit avoir pour objectif de limiter les déplacements évitables[4]. Commençons par construire des logements de manière cohérente, commençons par favoriser le développement économique dans les pôles urbains intermédiaires (Lens, Creil, Douai, etc.), et nous ferons ensuite l’économie de nouvelles infrastructures. Il est temps que la politique des transports soit au service d’une politique d’aménagement durable permettant de préserver des terres agricoles et de mixer sur le même espace activités économiques et logements.

5/ Il est enfin temps de penser l’aménagement du territoire en se posant surtout et d’abord la question du bien-être des habitants.

[1] Dans le cadre du débat public organisé pour le réseau express entre Lille et le bassin minier, Axe Culture a émis un avis mitigé à lire sur le site www.axeculture.com

[2] Il arrive aussi que dans certaines entreprises, il soit décidé la suppression arbitraire du télétravail par des managers qui préfèrent le « présentéisme » à l’efficacité et un soit disant égalitarisme simplet à une prise en compte des spécificités de chacun.

[3] Le Grenelle de l’environnement a permis une prise de conscience des acteurs publics pour la densification autour des gares. Dans les faits, il suffit de se promener dans le Grand Lille pour constater que les projets de lotissements continuent de fleurir loin des gares et en pleins champs.

[4] Au-delà des migrations domicile-travail, le développement anarchique des zones commerciales en périphérie, outre la mort des centres-villes, génère également de nombreux déplacements routiers.

Une réflexion sur “Tranches de vie pour débattre autrement de la politique des transports

  • 25 février 2016 à 10 h 15 min
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    Je n ai pas vus le temps passer, merci beaucoup pour le bon moment passe sur votre page.

Commentaires fermés.