Avis concernant le projet de tram desservant Lille
Une ambition très forte de la Métropole qu’il faut saluer
La Métropole Européenne de Lille a décidé d’investir massivement dans les transports en commun via la création de plusieurs lignes de tramway et de Bus à haut niveau de service (BHNS).
Il faut se féliciter de cette volonté qui répond à plusieurs enjeux :
(1) l’amélioration de la qualité de vie des individus qui disposeront d’un mode de transport efficace et reposant ;
(2) la réduction des émissions de gaz à effet de serre grâce à la réduction du trafic automobile ;
(3) l’amélioration du cadre de vie des habitants grâce à des rues plus calmes, transformées et des boulevards requalifiés ;
(4) l’amélioration des conditions de circulation automobile sur la métropole lilloise grâce à un report modal de la voiture vers les transports en commun.
Mais sur les lignes desservant la ville de Lille, un projet qui tarde
Le tracé du tram lillois fait apparaître de nombreuses incohérences. Déjà en 2018, il y a 7 ans, un premier débat avait eu lieu concernant le tracé. A l’époque, Axe Culture avait fait une proposition, tout comme de nombreuses autres associations et groupes politiques. Pour Axe Culture, comme pour beaucoup, le tram devait desservir le coeur de la ville de Lille.
Or, même si le projet qui a été validé propose des solutions intéressantes, comme la desserte du secteur ouest (Loos, Haubourdin) et le sud vers Wattignies, il contourne le coeur de Lille et évite de gros pôles générateurs de transports, comme l’Université Catholique de Lille et ses 25 000 étudiants.
Sous le feu des critiques, notamment à l’occasion de la phase de concertation, le projet ne semble pas avancer.
1. Qu’est-ce qu’un bon tram ?
Nous l’avons dit précédemment, un tram est un moyen de réduire les flux routiers et donc diminuer les émissions de gaz à effet de serre. C’est aussi un moyen pour réduire la thrombose routière dont se plaignent aussi bien les travailleurs que les entreprises.
Mais pour juger de la pertinence d’une ligne de tram, il convient de rappeler les bases d’un tram efficace :
1/ Desservir les pôles générateurs de transport
Un tram doit répondre à sa vocation première, à savoir desservir les territoires les plus denses ainsi que les équipements qui génèrent le plus de déplacements, en particulier ceux qui ne disposent pas encore de transports en commun en site propre.
2/ Aller au plus court
Même si la desserte des quartiers denses et des équipements demandent parfois de réaliser des “crochets”, une infrastructure efficace doit aller au plus rapide. Dans nos villes, la voiture demeure encore souvent un mode de transport rapide. Pour être attractif, le tram se doit donc d’être aussi rapide.
3/ Un levier pour transformer le territoire
Un tram peut aussi être construit sur un secteur en mutation sur lequel sont ou seront construits logements, bureaux ou commerce, c’est à dire un secteur appelé à devenir une nouvelle polarité génératrice de mobilité.Un tram participe à structurer le territoire et lui donne un supplément d’attractivité. Ce supplément attire des habitants, mais aussi des entreprises et favorise ainsi la requalification de terrains en friches et plus largement de quartiers en difficultés.
Ainsi, la construction d’un tram peut faciliter la dynamisation d’un secteur en devenir. Sur ce plan, il est important que la création de l’infrastructure se fasse en concomitance avec celle du projet urbain. Il est important de souligner que ces projets urbains doivent être réalisés en priorité sur des terrains en friches dans une optique de renouvellement urbain et non pas d’étalement urbain.
2. Avis concernant le tracé

Le projet proposé présente des points forts
Le tram dessert les villes suivantes, peu ou mal desservies par un mode de transport efficace aujourd’hui :
– vers le nord : Saint-André, Marquette et Wambrechies
– vers l’ouest : Loos et d’Haubourdin
– Faches-Thumesnil et Wattignies
Le tram dessert des équipements lillois majeurs avec notamment :
– le jardin des plantes, un jardin aujourd’hui enclavé et peu connu des lillois ;
– la Citadelle et la Deûle, poumon vert de la ville de Lille qui gagneront à être desservis par le tram ;
– le futur Palais de Justice dont la localisation a été à juste titre très critiquée et qui profitera enfin d’une bonne desserte en transports en commun.
La desserte : les points faibles du projet
Il contourne le cœur de Lille en passant par le port de Lille qui dispose déjà d’une station de métro. C’est à notre avis une erreur puisque d’une part il ne permettra pas de requalifier certains boulevards qui le mériteraient (Vauban, Victor Hugo, Liberté…) et d’autre part il ne dessert pas ou mal des équipements importants tels que l’Université catholique et ses 25 000 étudiants qui fréquentent le campus, ou encore le quartier Saint-Sauveur.
Les branches du tram empruntent des axes principaux vers Haubourdin et Wattignies mais pas vers Wambrechies : l’avenue principale (Leclerc à Saint-André ; Ypres à Marquette) est évitée. Il serait pourtant possible de passer par l’axe principal avant de desservir le cœur de ville de Marquette.
Le tram passe par la gare Lille Europe alors que le principal hub de transport de la Métropole se situe à Lille Flandres.
3. Les variantes proposées
Des variantes à l’étude
A l’issue de la première phase de concertation, des analyses complémentaires ont été menées par le bureau d’études missionné par la MEL.
3 variantes ont été évaluées :
– un passage par le Boulevard Vauban plutôt que par les boulevards extérieurs et le port
– un tracé qui passe par Lille Flandres plutôt que Lille Europe
– des tracés alternatifs qui passent dans le centre-ville de Lille
Malgré les avantages évidents mis en lumière par ces études complémentaires, la MEL a balayé d’un revers de main ces variantes, s’arc-boutant sur le scénario initial.
D’autres variantes n’ont pas été étudiées suite à la concertation préalable en 2022. Les garants du débat public proposaient « d’étudier la faisabilité et d’analyser les avantages et inconvénients de cette alternative [rue Leclerc à Saint-André puis desserte des Moulins de Paris à Marquette], permettant d’apporter une réponse argumentée à l’encontre ou au profit de cette proposition de tracé » (bilan des garants du 5 mai 2022).
VARIANTE 1 : Un passage par Lille Flandres pour une fréquentation plus importante.
L’étude complémentaire a comparé la fréquentation attendue des 2 tracés représentés ci-contre :
Passage par Lille Europe :
– 55 000 passagers par jour sur la ligne Sud (vers Wattignies)
– 12 800 passagers par jours sur la ligne Nord (vers Saint-André)
Passage par Lille Flandres :
– 60 600 passagers par jour sur la ligne Sud
– 20 700 passagers par jour sur la ligne Nord
Au total, la fréquentation dans le scénario “Lille Flandres” est supérieure au scénario “Lille Europe” de 10% pour la ligne Sud et 62% pour la ligne Nord, ce qui est considérable.
De plus, à l’heure ou des réflexions sont en cours sur un futur Service express métropolitain régional (SERM) qui va encore renforcer le rôle de la gare Lille Flandres en tant que porte d’entrée de la MEL, il est impensable que le tram fasse l’impasse sur cette gare.
VARIANTE n°2 : le tracé par le boulevard Vauban ne présente que des avantages par rapport au tracé par Port de Lille
Le projet envisagé passe par le boulevard de la Moselle alors qu’un second tracé passant par le boulevard Vauban est abandonné.
Pourtant, le comparatif des 2 variantes montre les caractéristiques suivantes :
Tracé initial (par boulevard de la Moselle / Lorraine) :
– 3,2 km entre l’esplanade du Champ de Mars et la Place Tacq
– 11 minutes
– 95 M€
– 55 000 montées par jour
Variante (par bd Vauban) :
– 2,2 km entre l’esplanade du Champ de Mars et la Place Tacq
– 8 minutes
– 70 M€
– 58 800 montées par jour
La variante ne présente donc que des avantages :
– moins coûteux (1km en moins à aménager),
– gain de temps pour les passagers,
– potentiel de fréquentation plus important.
De plus, elle présente le gros avantage de beaucoup mieux desservir le campus de l’Université catholique, qui s’est elle-même prononcée en faveur du tracé par le boulevard Vauban.
L’Université catholique de Lille qui compte plus de 20 000 étudiants surplace a donné son avis sur la question à l’occasion de la concertation.
« Pourquoi les nouvelles lignes de transport semblent-elles contourner le Boulevard Vauban ?
Nous notons que le Boulevard Vauban est ignoré par ces nouvelles infrastructures (sauf le tronçon emprunté par le futur tramway au-delà de la rue Solférino) quand bien même il reçoit une grande majorité des flux quotidiens d’étudiants, de salariés, et d’habitants du quartier.
On peut également se demander si la réalisation du tramway et de la ligne de bus HNS ne vont pas générer, sur leur tracé, des restrictions de la circulation automobile qui amèneront les véhicules à se reporter sur le dit Boulevard Vauban déjà bien encombré aujourd’hui.
Le Boulevard Vauban, très routier, constitue aujourd’hui une véritable fracture entre les différentes « rives » du Campus, ainsi qu’une source de bruit, de pollution et de risque d’accidents important.
Connu par les lillois pour sa succession d’architectures remarquables repérées au patrimoine de la Ville et de la Métropole, il est également une artère verte qui relie des espaces paysagers majeurs comme le Jardin Vauban, le Palais Rameau, et la Place du Maréchal Leclerc.
Il semble essentiel que le traitement de celui-ci soit à la hauteur de ses qualités, et des enjeux de ses usages dans le développement du quartier Vauban et du Campus de l’Université : apaisement, végétalisation, sécurisation, mise en valeur architecturale, lisibilité du campus, etc…
Rappelons que le Boulevard Vauban accueillait autrefois l’une des lignes du réseau de Tramway lillois, mis en place à la fin du XIXe siècle.
En bref, les tracés en site propre du Tramway et de la BHNS risquent de reporter la circulation voiture sur le boulevard Vauban, intensifiant la rupture constituée par ce boulevard routier au cœur du campus et au détriment du cadre de vie pour le quartier et en particulier les étudiants. Ce boulevard qui concentre une majorité des points d’intérêt du quartier mériterait une piétonnisation plutôt que de devenir un faubourg routier. »
VARIANTE n°3 : plusieurs tracés possibles par le cœur de ville
Plusieurs tracés alternatifs ont été comparés par l’étude complémentaire.
Pour chacun, les « opportunités » desservies ont été comptabilisées en considérant, le nombre d’habitants, d’emplois, de scolaires et d’étudiants présents dans un rayon de 500 mètres autour des stations.
Puis les différents scénarios ont pu être départagés à partir du ratio des opportunités desservies / km de lignes.

Conclusion des études : les 2 scénarios ci-dessus sont tous les 2 meilleurs selon ce critère que le scénario initial. En effet, les évaluations montrent que :
– le scénario actuel permet de desservir 12 100 opportunités / km
– ces 2 scénarios alternatifs desservent chacun 13 400 opportunités / km
De plus, ils présentent l’avantage de desservir certains équipements importants (Université catholique, Saint-Sauveur) et de passer par certains boulevards qui ont besoin d’être requalifiés (Vauban, Liberté, Victor Hugo)
Synthèse de notre avis relatif au tracé du tram sur le secteur lillois
Notre analyse des tracés actuellement proposés par la MEL et la ville de Lille, ainsi que la lecture des études complémentaires nous amènent aux conclusions suivantes.
Il faut dès maintenant intégrer au projet les 2 variantes suivantes qui sont incontestablement plus performantes notamment en termes de fréquentation :
– Le passage par la gare Lille Flandres plutôt que Lille Europe
– Un tracé par le boulevard Vauban plutôt que par les boulevards extérieurs
Le passage par le cœur de la ville de Lille doit être être étudié et ce pour plusieurs raisons :
– les analyses ont montré que certains tracés par le cœur de Lille sont plus performants sans être plus coûteux
– il permettra de desservir certains équipements qui ne le sont pas avec le tracé actuel : Saint-Sauveur, musée des Beaux arts…
– il permettra de requalifier certains boulevards qui pourraient devenir très agréables mais qui sont aujourd’hui peu valorisés : Liberté et Victor Hugo.
Le passage au plus proche des centralités et des “opportunités de réseau” pour la desserte des couronnes de Lille
– Le projet de tramway doit s’appuyer sur le tracé et la desserte des lignes les plus fréquentées (Liane 1, Liane 5…)
– Un tracé par la rue Leclerc à Saint-André offre aussi la possibilité d’un embranchement sur l’ancienne voie ferrée Lille-Comines au passage à niveau de Marquette.
Conclusions plus générales
1/ Il est bon de rappeler que le projet de tram constitue un projet métropolitain. La compétence transport est entre les mains de la Métropole Européenne de Lille qui dirige l’ensemble des études et qui assurera le financement du projet dans son intégralité : matériel et aménagements en surface. Les lignes qui seront réalisées créeront du lien entre les différentes communes de la métropole et devront par ailleurs être complémentaires des autres moyens de transport : vélo, métro, bus… A ce titre, même si les communes ont un avis éclairé à donner, le projet doit garder un fil conducteur et non pas céder ici et là aux aspirations souvent contradictoires des différentes communes traversées.
Ces aspirations, parfois affirmées contre vents et marées, ont contribué à ralentir le projet. Le peu d’enthousiasme manifesté par la ville de Lille est en train de faire du temps au projet. Les lignes du secteur Roubaix-Tourcoing ont pris de l’avance, bien qu’on parle d’une mise en service après 2030, voire 2033. Il est plus que temps d’accélérer le calendrier, en intégrant au plus vite les variantes dont la pertinence est évidente, afin de ne pas perdre davantage de temps dans les futures phases de concertation.
Pour rappel, les premières réflexions concernant le SDIT datent de 7 ans. La congestion routière de la métropole lilloise, la pollution de l’air et enfin les mauvaises conditions de transports des personnes en transport en commun, demandent que les études accélèrent. Au regard des études de trafic, les deux lignes à réaliser en priorité sont les lignes allant vers le sud de Lille et celle allant vers le sud-ouest.