Avis défavorable concernant le projet le Service express régional métropolitain (SERM)

Le projet de SERM (service express régional métropolitain) est un vaste projet de transport ferroviaire qui vise à améliorer la mobilité sur l’aire métropolitaine de Lille. Le projet est présenté ici. Le planning annoncé est une mise en service de l’offre complète pour 2040.

Ce projet se situe largement dans la continuité du projet de REGL (Réseau Express Grand Lilille) qui avait peu ou prou les mêmes objectifs. A l’époque, Axe Culture avait rédigé une contribution qui est accessible.

Le projet SERM repose sur plusieurs axes complémentaires :

  • Une offre de train renforcée à la fois sur les fréquences (annoncées à un train toutes les 5 à 10 minutes entre Lille et le bassin minier et 15 à 30 minutes sur les autres destinations) et sur les amplitudes horaires (annoncées sur la plage 5h – 23h).
  • La création de 2 nouvelles gares : une dans le quartier Euraflandres de Lille et une au niveau de l’aéroport Lille-Lesquin
  • Une meilleure desserte des gares avec la création de nouvelles infrastructures : voies piétonnes, pistes cyclables, bus, cars, tramway, covoiturage.
  • La transformation des quartiers de gare pour en faire de vraies centralités locales avec des logements, commerces, services, espaces verts, etc.

Une période de consultation avec les habitants, usagers et acteurs publics et privés a été initiés afin de recevoir les avis de tous concernant le projet. Dans ce cadre, Axe Culture et Territoires a déposé un avis sur le site du SERM et complète cet avis par cet article plus étayé.

Cet article a été rédigé par Mathieu Chassignet et Thomas Werquin.

Notre avis
1/ Pour commencer, toute infrastructure de transport ferroviaire doit répondre à au moins 3 objectifs 

Améliorer les conditions de transport des passagers. 

Sur ce point, nous savons que le cadencement est insuffisant et que les usagers se plaignent de nombreux retards. Mais, le dossier manque de données objectives concernant le trafic. Ces informations sont nécessaires pour donner un avis concernant l’ambition du projet.

Réduire les émissions de gaz à effet de serre en incitant les automobilistes à prendre le train

Le dossier manque encore de données : quelle est la part modale actuelle de la voiture et du train ? Quels sont les objectifs pour l’avenir ? 

Accompagner la stratégie d’aménagement du territoire à long terme

Sur ce point, l’aire métropolitaine de Lille ne dispose pas de stratégie d’aménagement, mais d’une somme de stratégies : celles de Lille, Lens, Valenciennes, etc.

En l’état, le projet est assez clairement lillo-centré. Les différentes composantes de l’aire métropolitaine de Lille sont-elles d’accord pour poursuivre l’hyper-concentration de l’emploi sur le territoire lillois et donc accentuer les déséquilibres ? Le projet va-t-il renforcer la résidentialisation de Lens, Valenciennes, Douai, etc. ? Cette question a-t-elle été débattue techniquement et politiquement ?

2/ Face à ces trois objectifs, quel est le projet ?

Un projet qui repose sur plusieurs axes complémentaires : 

  • Une offre de train renforcée à la fois sur les fréquences (annoncées à un train toutes les 5 à 10 minutes entre Lille et le bassin minier et 15 à 30 minutes sur les autres destinations) et sur les amplitudes horaires (annoncées sur la plage 5h – 23h). Le planning annoncé est une mise en service de l’offre complète pour 2040.
  • La création de 2 nouvelles gares : une dans le quartier Euraflandres de Lille et une au niveau de l’aéroport Lille-Lesquin
  • Une meilleure desserte des gares avec la création de nouvelles infrastructures : voies piétonnes, pistes cyclables, bus, cars, tramway, covoiturage. 
  • La transformation des quartiers de gare pour en faire de vraies centralités locales avec des logements, commerces, services, espaces verts, etc. 
3/ La situation actuelle : une croissance des mobilités au sein d’une aire métropolitaine sans gouvernance et sans stratégie commune

Avant de donner un avis sur le projet de réseau express, il est important de rappeler les raisons qui poussent à juste titre les pouvoirs publics à améliorer l’offre de transports en commun.

Le dossier ne présente pas de données détaillées à ce sujet, ce qui est regrettable. Voici donc notre propre analyse sur le sujet.

A l’origine, un accroissement de la mobilité domicile-travail entre Lille et le bassin minier 

Les flux domicile-travail entre Lille et le bassin minier du Nord Pas de Calais ont connu une forte croissance. Entre 2006 et 2014, les flux domicile-travail du bassin minier vers la MEL ont augmenté de 16%, si bien qu’environ 20% des emplois situés sur le territoire de la MEL sont occupés par des personnes venant de l’extérieur. On note un déséquilibre territorial important puisque les flux domicile-travail du bassin minier vers la MEL sont 3,5 fois plus importants que les flux de la MEL vers le bassin minier.

Une part importante de ces déplacements se fait par la voiture via les axes autoroutiers, participant à leur encombrement. La part des déplacements domicile-travail effectués en voiture est non seulement prépondérante, mais elle ne diminue pas (en dehors de la MEL) sur les dernières années.

En bref, des déplacements de plus en plus lointains, et toujours autant réalisés en voiture… une impasse.

Cet encombrement a été aggravé par la forte hausse du trafic de marchandises, problématique non abordée par le réseau express, en lien notamment avec l’essor du e-commerce et l’implantation de plateformes logistiques associées, qui se sont fortement développées dans notre région. 

Conséquence des embouteillages monstres provoqués par cette situation : 

  • Une pollution de l’air croissante due au trafic routier ;
  • Un épuisement des individus qui voient les temps de trajet se rallonger ;
  • La difficulté pour les entreprises à répondre à leurs clients dans les temps et d’être fiables lorsqu’il s’agit d’organiser des événements.

Trois raisons à l’accroissement de ces migrations domicile-travail

L’accroissement de ces migrations s’est opéré via au moins trois processus : 

  • d’une part un manque d’emplois créé côté bassin minier ayant conduit un nombre croissant de ses habitants à aller travailler sur le territoire de la Métropole Européenne de Lille ; ce manque d’emplois est le fruit du déclin industriel mais aussi d’un manque d’ambition concernant le renouveau économique des territoires concernés ; La création du Louvre Lens, par exemple, n’a sans doute pas été suffisamment valorisé et donc pas assez été vecteur de développement touristique et d’emplois. 
  • d’autre part, un manque de logements abordables côté Métropole lilloise, ayant conduit un nombre croissant de ses habitants à aller habiter sur le bassin minier, où de nombreuses réserves foncières et des documents d’urbanisme souples ont permis la création de nombreux logements en secteur agricole ;
  • une hyper-concentration de l’emploi sur Lille et sa métropole provoquant une surcharge des infrastructures de transports vers Lille le matin et sortant de Lille le soir, notamment via l’autoroute A1.
4/ Face à cette évolution : l’absence de stratégie territoriale à l’échelle de l’aire métropolitaine
  • Le déséquilibre croissant entre les territoires de l’aire métropolitaine de Lille qui a vu Lille croître s’est fait au détriment de nombreux territoires, et n’a pas fait l’objet d’une réponse collective de la part des élus locaux et régionaux
  • C’est ainsi que la demande en logements a trouvé une réponse largement construite à l’échelon communal, ou au mieux intercommunal ; elle s’est donc traduite par une urbanisation anarchique dans le bassin minier via la création de nombreux lotissements, sur des territoires non desservis par les transports en commun et générant de forts trafics routiers supplémentaires. C’est le manque de gouvernance territoriale, ou, dit autrement, une gouvernance éclatée entre de trop nombreuses institutions qui a conduit aux difficultés que le territoire connaît. 

En conséquence, pour l’avenir, la réponse à apporter ne doit pas se limiter à plus d’infrastructures de transport, mais doit porter en amont sur la définition d’une vision que nous avons pour ce grand territoire. 

5/ Un avis défavorable pour un SERM qui ne se fera très probablement jamais dans sa globalité 

Il est bien entendu qu’il est absolument nécessaire d’améliorer la qualité de la desserte ferroviaire de chaque pôle de l’aire métropolitaine de Lille. Il est aussi très clair que chacune de ces polarités doit faire l’objet de projets ambitieux composés à la fois d’espaces publics de qualité, de logements, d’activités économiques, de valorisation du patrimoine, etc. 

Néanmoins, le projet de SERM ne semble pas en l’état adapté pour répondre à ces enjeux. 

A/ L’optimisation indispensable de l’infrastructure en place avec des questions

L’amélioration de l’offre ferroviaire est sans aucun doute nécessaire. En effet, renforcer les fréquences permettra aux transports en commun de gagner en compétitivité par rapport à la voiture et d’augmenter la part des trajets domicile-travail effectués en train entre la MEL et le bassin minier. Cette augmentation de la part du train ne peut se faire qu’avec des politiques de mobilité claires et cohérentes, et avec une diminution des investissements routiers, encore trop importants aujourd’hui.

Par ailleurs, l’augmentation de l’amplitude horaire qui est annoncée (5h – 23h) est une bonne chose afin de développer des liens entre les territoires qui ne sont pas liés seulement au travail. Pouvoir prendre un dernier train à 22h30 ou 23h devrait permettre de pouvoir profiter de certaines activités culturelles, artistiques, ou sportives puis de rentrer chez soi en train. Cela pourrait permettre de rendre accessible aux habitants du bassin minier certaines activités qui sont essentiellement concentrées à Lille (théâtres, événements culturels, certains événements sportifs…). A ce titre, une amplitude encore élargie le week-end, par exemple jusqu’à minuit, semblerait davantage pertinente.

Néanmoins, les fréquences annoncées nous semblent surdimensionnées et peu argumentées. Une fréquence d’un train toutes les 5 minutes avec des TER de nouvelle génération sur les principales dessertes à l’heure de pointe, représente une capacité de transport d’environ 30 000 personnes par ligne sur l’ensemble de l’heure de pointe. Transporter 30 000 béthunois, 30 000 lensois, 30 000 douaisiens… tous les matins pour venir travailler à Lille. C’est 2 à 3 fois plus que l’ensemble des personnes qui font ces trajets (tous modes de transport confondus) à l’heure actuelle, sachant que seuls 20% utilisent actuellement le train. 

B/ Mais une nouvelle ligne et deux nouvelles gares dont l’opportunité n’est pas argumentée 

La nouvelle ligne n’est pas argumentée. Est-elle indispensable pour la desserte de Lens et du bassin minier ? N’est il pas possible d’optimiser le faisceau ferroviaire existant ? Le dossier n’apporte pas de réponse. 

  • D’abord, cette infrastructure nouvelle, très lourde et coûteuse exige un argument solide pour sa réalisation car les crédits mobilisés se feront nécessairement au détriment d’autres investissements. 
  • Ensuite, l’objectif de cette nouvelle ligne n’est-il pas la desserte de l’aéroport de Lesquin ? Si c’est la seule raison, elle n’est en aucun cas justifiée. 

La construction d’une nouvelle gare à Lille-Lesquin est critiquable à plusieurs titres, et sans doute une aberration territoriale et environnementale

  • Du point de vue de la desserte travailleur, le secteur n’est pas suffisamment dense pour justifier de tels investissements dans une nouvelle gare. Il serait malheureux de refaire la même erreur que le projet d’une ligne de tram Lille – Lesquin qui a finalement été abandonné pour la même raison.
  • Cette gare est donc surtout proposée pour desservir l’aéroport, en lien avec le projet d’agrandissement. Ce serait à notre sens une erreur à deux titres : 
    • au vu des enjeux climatiques, le transport aérien constitue un mode de transport qui fait débat pour ses émissions de gaz à effet de serre ; 
    • au vu des possibilités de croissance de cet aéroport. La métropole lilloise est particulièrement bien reliée à Roissy qui constitue donc un concurrent redoutable et donc un frein probable au développement de l’aéroport de Lille. Lille ne disposera probablement jamais de liaisons régulières avec les grandes capitales européennes ou mondiales que sont Tokyo, Pékin, New-York ou Madrid et Rome. Le dossier ne répond en rien à cette question. 
  • Question : quelles sont les données qui justifient ce choix ? 

   

La construction d’une nouvelle gare sous l’actuelle gare Lille Flandres est une aberration économique et technique

  • La construction d’une nouvelle gare en plein cœur de Lille ne se justifie pas alors que la gare de Lille est déjà très bien desservie. Cette gare ne se justifie pas, si ce n’est dans l’optique d’une hypercentralisation au cœur de Lille, laquelle n’est pas souhaitable et non argumentée. Beaucoup de grandes agglomérations disposent de plusieurs gares distantes l’une de l’autre, mais reliées en métro. Pourquoi la métropole lilloise ferait exception ? Le dossier ne répond pas à cette question. 
  • Les contraintes techniques sont gigantesques (creusement de la gare souterraine, réalisation de l’ensemble des accès aux réseaux de métro et réseau SNCF, etc.) dans un secteur hyper-contraint ;
  • Son coût colossal ne se justifie pas au regard des dépenses que le territoire doit réaliser pour revitaliser tous les quartiers qui ont besoin d’investissements. Alors que les chiffres les plus fous sont annoncés, à savoir un à deux milliards d’euros pour cette seule gare, combien de quartiers peuvent être réhabilités, combien de friches pourrions-nous requalifier pour ce même montant ?  
  • La construction d’une gare est-elle vraiment justifiée ? Un agrandissement de Lille Flandres n’est il pas envisageable ? Une telle gare ne pourrait-elle pas être réalisée dans un secteur moins contraint ?

Ces deux nouvelles gares et la nouvelle ligne risquent de plomber l’ensemble de la démarche, ce qui est regrettable alors que l’optimisation de l’infrastructure existante est nécessaire. 

Un projet coûteux qui risque de concentrer les crédits publics (rares) dans l’infrastructure au détriment de l’aménagement du territoire

Le coût probablement faramineux du projet (aucune estimation des coûts dans le dossier) devra être porté par les pouvoirs publics locaux : région, agglomération, communes. 

Soyons réalistes, la période actuelle comme les périodes à venir, ne seront certainement pas favorables aux dépenses somptuaires. 

7/ Pour l’avenir, une question de méthode : élaborer d’abord la stratégie territoriale et ensuite, dessiner l’infrastructure ferroviaire 

Nous suggérons de renverser la logique : plutôt que de dessiner une infrastructure et aménager autour, nous proposons de définir d’abord une stratégie globale pour ensuite en déduire les besoins en transport. Par ailleurs, la priorité doit être donnée à la redynamisation des gares et centres urbains du bassin minier ainsi que l’amélioration des offres de mobilité du quotidien (infrastructures cyclables, bus en site propre, tramways…). Leur financement doit impérativement être sécurisé au même titre que pour l’offre ferroviaire et ils ne doivent pas servir de variable d’ajustement comme c’est trop souvent le cas.  

  • Pour commencer : définir la stratégie territoriale

Avant la réalisation de cette infrastructure, il est indispensable de définir une vision et donc un projet d’aménagement à l’échelle de l’aire métropolitaine de Lille. 

C’est cette stratégie territoriale qui donnera à chaque entité un rôle dans l’aire métropolitaine, qui posera les bases du projet de transport. 

Une politique de transport ne constitue pas une stratégie territoriale ! 

  • Une stratégie qui exige une gouvernance à la bonne échelle 

La création d’une telle infrastructure ne peut être menée sans une politique d’aménagement à l’échelle concernée et donc sans une gouvernance unifiée. Il faut donc a minima un SCoT à l’échelle de Lille et du Bassin Minier avec des Plans Locaux d’Urbanisme Intercommunaux qui prennent le relais et qui organisent le territoire. 

La plupart des collectivités le disent : cette infrastructure est celle du Grand Lille. Passons de la parole aux actes en changeant nos outils de gouvernance territoriale.

  • Des projets urbains d’envergure pour les villes desservies menés collectivement dans l’intérêt de tous

Cette infrastructure doit être accompagnée d’une politique ambitieuse pour développer les centres urbains du bassin minier, d’un point de vue aussi bien résidentiel qu’économique et commercial, ceci pour éviter d’une part que ces centres deviennent les cités dortoirs de Lille, d’autre part pour éviter qu’elles ne poursuivent leur déclin. Il est donc nécessaire de densifier autour des gares. 

Les gares desservies (Douai, Lens, Arras, etc.) par le réseau doivent devenir des pôles économiques, résidentiels et commerciaux du Grand Lille, ceci afin de venir renforcer le développement d’une grande métropole qui se veut européenne. 

Cette ambition nécessite une solidarité et un consensus à l’échelle de l’aire métropolitaine. Qu’en sera-t-il concrètement de ce portage et de cette solidarité ? 

  • Des solutions pour les mobilités du quotidien

Il y a peu de transports structurants en dehors de la métropole lilloise (hormis le tramway de Valenciennes et quelques bus à haut niveau de service). De son côté, la MEL n’a pas vu la mise en service de nouveau transport lourd depuis 2000 avec l’inauguration des dernières stations de la ligne 2 du métro. Il faut planifier la mise en place d’offres de mobilité efficaces pour les déplacements locaux. La réflexion sur la desserte ferroviaire ne doit pas occulter le besoin d’avoir des offres adaptées au quotidien de tous. Il s’agit d’accélérer le développement des aménagements en faveur des piétons, des pistes cyclables, des voies de bus en site propre, et pourquoi pas des lignes de tramways là où elles sont nécessaires. Il faut là aussi de la cohérence et réduire le montant des investissements routiers (ils sont encore nombreux) est indispensable afin de dégager des marges de manœuvre budgétaires en faveur des mobilités durables.

Une fois ces 4 aspects débattus, pris en compte et financés, il sera temps de définir l’armature ferroviaire à renforcer. 

L’optimisation de l’infrastructure existante n’a pas besoin d’être appelée “SERM” pour être améliorée dès demain !