Lille3000 à côté des enjeux de son territoire


Alors que Lille3000 lance une nouvelle saison sans grand débat, sous le regard d’un monde politique béat et d’une presse très complaisante, il fallait oser dire que Lille3000 est bien loin de répondre aux enjeux de la métropole lilloise.


En photo, un objet du Musée d’art populaire de Mexico qui sera exposé au Musée d’Histoire Naturelle de Lille. Ce dernier compte des milliers d’objets de grande qualité venus des 4 coins du monde, stockés dans ses greniers et jamais exposés faute de place.


Il y a quelques jours, un ami me disait que le Mexique c’est bien et que la parade serait certainement très belle, mais qu’il regrettait qu’on ne parle pas plus de la Kabylie, terre natale de ses parents et de beaucoup de lillois, qui renferme d’immenses richesses culturelles et artistiques, malheureusement très méconnues. Il parlait aussi de sa mère, qui n’avait pas de livre dans sa maison, mais qui à elle seule était un livre ouvert où on pouvait lire des petites et grandes histoires, des chansons et des recettes de cuisine. « Qui connaît les richesses de la Kabylie en France et à Lille ? » m’a-t-il demandé. Difficile de répondre à sa question, mais force est de constater que les politiques culturelles, telles qu’elles sont menées, ne favorisent pas cette connaissance.

Nos habitants viennent des 4 coins du monde et nous ne savons rien de leurs racines !

Bien entendu, nous ne demandons qu’à mieux connaître le Mexique. Bien entendu, il y a une communauté latino-américaine lilloise qui éprouvera de la fierté à voir le Mexique mis à l’honneur. Il y a aussi des habitants qui aiment la tradition des moments festifs et conviviaux, et qui seront curieux de découvrir les artistes mexicains présentés à Lille dans cette saison Eldorado. Mais, était-ce vraiment la priorité ?

La France, comme notre ville, regorge d’habitants venus des 4 coins du monde et en particulier du Maghreb et d’Afrique Noire, et nous ne savons rien de leurs racines. Au mieux nous avons quelques expériences culinaires et pour les plus chanceux, des voyages touristiques au Maroc ou au Sénégal. Pour d’autres, il y a peut-être eu une visite à l’Institut du Monde Arabe à Paris pour admirer l’exposition « Les arts de l’Islam » qui avait permis de poser un nouveau regard sur cette religion, un regard fait de créations, de couleurs, de sciences, d’ouverture et de beauté. Ceux qui ont visité cette exposition sont revenus bouleversés, éblouis par une culture qui a longtemps été un modèle pour l’Europe.

Plus récemment, le Musée de la Piscine organise un printemps algérien autour de la rétrospective Gustave Guillaumet, peintre orientaliste fasciné par l’Algérie, l’IMA-Tourcoing réunit dans l’exposition “Photographie l’Algérie” une centaine de photos depuis le début du XXe siècle jusque 2002, et la Maison de la Photographie de Lille propose une exposition sur les femmes marocaines.

Mais ce sont des exceptions qui confirment la règle et dans des lieux souvent fréquentés par les initiés !

Alors, avons-nous vraiment abdiqué ? Avons-nous abandonné l’idée de mieux connaître nos racines ?

Nous devons mieux nous connaître pour apprendre à vivre ensemble

Au lendemain de la seconde guerre mondiale qui avait vu les peuples se déchirer, l’UNESCO fut créée en prenant conscience que: « les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix. »

Sur la Métropole Lilloise comme dans sa région, il n’y pas de guerre, mais une société fragmentée où l’extrême droite devrait encore faire malheureusement un carton lors des prochaines élections. Comme les guerres, l’intolérance, l’homophobie, l’antisémitisme, le racisme et toutes les formes de xénophobie naissent aussi dans l’esprit des hommes et c’est donc par l’éducation, la pédagogie et la culture qu’il faut agir. En effet, la culture est indéniablement un moyen de porter un regard neuf, un regard vrai sur ceux qui nous entourent pour dépasser les préjugés.

Comment peut-on vivre ensemble, comment nos habitants peuvent-ils porter un regard positif et fier sur eux-mêmes et sur les autres, s’ils ne se connaissent pas ou, pire, si cette connaissance n’est faite que de caricature, de regards superficiels ou de mépris ?

Les politiques culturelles ont abandonné toute ambition culturelle

Pourtant, de la même manière que nous parlons de l’urgence climatique, il y a également une urgence culturelle. Cette urgence n’est pas celle des paillettes et de la fête, bien présentes dans la succession d’évènements Lille3000, mais celle de la connaissance mutuelle, qui permet à chacun d’apprécier la qualité et la condition de l’autre pour ensuite mieux l’accepter. L’urgence est d’ancrer une culture partagée, curieuse, durable, chez chacun d’entre nous.

Pourquoi Lille3000 ? Pourquoi le Mexique ?

Est-ce juste un thème de soirée déguisée ou d’un grand bal masqué ? Est-ce juste un prétexte pour faire la fête et pour mobiliser la foule à l’occasion d’une grande parade : on y vient en famille, on s’émerveille, on s’amuse, c’est important, mais après ? Que reste-t-il d’ailleurs de la saison de Lille3000 dédiée à l’Inde ?

La connaissance d’autres cultures est toujours enrichissante. Néanmoins, alors que l’Europe voit monter les nationalismes, alors que le vote et les actions extrémistes sont légions, n’y a-t-il pas urgence à apprendre et connaître sur ceux qui vivent sur notre sol ?

Est-ce un si bon sujet pour la création artistique, au point de l’imposer aux structures culturelles de la métropole lilloise comme cela nous a été rapporté ? Car pour être “dans le programme”, pour obtenir les subventions municipales, il faut que les groupes de jazz, les compagnies de théâtre, tordent la programmation annuelle pour y insérer du mexicain, quelle que soit leurs convictions ou leur ligne artistique. Est-ce vraiment souhaitable ? Le Mexique et le thème philosophique de l’Eldorado sont certainement de beaux sujets de création, mais comme le disait Gustave Flaubert : « il n’y a ni beaux ni vilains sujets ! » Il n’y avait pas d’urgence vitale à imposer le Mexique !

Est-ce un goût personnel de la part des promoteurs de Lille3000, de Martine Aubry elle-même ou de Didier Fusiller ? N’aurait-il pas plutôt fallu soumettre plusieurs projets aux lillois et leur proposer de participer à ce choix, un choix qui ait un sens pour eux ?

Si Lille3000 devait poursuivre sa route, donnons-lui pour thème les Roms, le Sahel, le Maghreb, la Pologne ou le Portugal !

Face à la joie de connaître le Mexique, ses artistes et de faire la fête, il y a plusieurs urgences et j’en citerais au moins deux grandes.

La première, c’est l’urgence de mieux connaître la culture Rom, dont les membres sont considérés comme des “sous-hommes” par bon nombre de nos habitants. Pour les traiter comme des hommes et des femmes dignes, nous avons besoin de faire connaissance avec leur culture.

La seconde c’est l’urgence de connaître les racines de nos habitants, les montrer, les valoriser. A l’heure aussi où certaines communautés se replient sur elles-mêmes et sont stigmatisées, dévalorisées, méprisées, nous aurions besoin d’un Lille3000 dédié au Maroc, à la Pologne ou l’Algérie, qui constituent aujourd’hui une part de l’ADN de la France au sens biologique du terme, de notre Région et de notre Ville, qui mettraient en avant sa littérature, son art et son artisanat, sa beauté, simplement.

Je rêve d’une grande parade des cultures dans laquelle défileraient les habitants de la métropole lilloise, comme je l’ai vu à Montréal où les habitants originaires de l’Irlande, de la Pologne, de la Chine, de l’Italie, du Mexique ou encore du Maroc marchaient fiers, fiers d’être reconnus pour leur richesse, fiers d’être reconnus comme Québécois et Canadiens.

Thomas Werquin