Se rendre au travail dans la MEL et le Bassin minier : une augmentation insoutenable des distances, la voiture toujours reine

Des flux domicile-travail déséquilibrés entre la MEL et ses voisines

Le territoire du « Très Grand Lille » est constitué de la Métropole Européenne de Lille (MEL) et ses voisines du Bassin minier et des Flandres limitrophes. Il compte 2,6 millions d’habitants répartis sur 11 intercommunalités et 1 million d’emplois. 550 000 emplois sont situés dans la MEL, dont 120 000 sont occupés par des personnes qui n’y résident pas et font le trajet matin et soir pour s’y rendre. Un chiffre en forte augmentation puisqu’entre 2006 et 2014, il a augmenté de +16% et il continue vraisemblablement d’augmenter depuis. Les échanges sont très asymétriques puisqu’il y a 3,5 fois plus d’actifs venant travailler dans la MEL depuis l’extérieur que d’actifs résidant dans la MEL qui vont travailler dans les intercommunalités limitrophes.

Ceci est révélateur d’un territoire très déséquilibré avec une surconcentration d’emplois dans la MEL et une surabondance de logements (par rapport au nombre d’emplois disponibles) en périphérie. Ou dit autrement, un territoire qui n’est pas capable de produire suffisamment d’emplois dans le bassin minier ni suffisamment de logements (abordables) sur la MEL. Ainsi, 18% des actifs qui résident dans les intercommunalités périphériques travaillent dans la MEL. La proportion atteint même 26% des actifs qui habitent la Communauté d’agglomération Hénin-Carvin, et même 52% des actifs qui habitent la Communauté de communes Pévèle-Carembault, véritable « banlieue dortoir » de la MEL.

Pour les salariés : temps de transport accrus, fatigue, budgets déplacement en hausse. Pour le territoire : hausse de la congestion et des émissions de polluants automobiles. Bref, une situation qui n’a pas grand-chose de positif et qui se fait largement au détriment des habitants des franges de la métropole lilloise. L’INSEE a montré qu’entre 2006 et 2014, le trajet médian des actifs travaillant dans la MEL sans y résider a augmenté de 2,8 km pour atteindre 26 km. Une situation qui ne semble pas tenable, d’autant plus qu’elle est accentuée par une augmentation de la capacité routière, censée faire gagner du temps, mais qui se traduit surtout par une augmentation des distances parcourues.

C’est un constat bien connu des urbanistes : une politique qui consiste à augmenter la capacité des infrastructures de transport sans être accompagnée d’une politique d’aménagement cohérente ne se traduit que par une augmentation des distances parcourues et un renforcement des déséquilibres territoriaux. C’est la même chose en ce qui concerne l’offre ferroviaire et les débats actuels sur le Service Express Régional Métropolitain (SERM) laissent entrevoir les mêmes craintes si les moyens qui seront consacrés à une meilleure politique d’aménagement (qui sont mentionnées dans le projet) ne sont finalement pas à la hauteur de l’investissement dans le renforcement des fréquences de TER.

L’INSEE, toujours elle, a montré que malgré les efforts pour améliorer le TER, l’utilisation du train par les personnes se rendant dans la MEL pour y travailler a peu augmenté entre 2006 et 2014. La part de la voiture, largement majoritaire, n’a en effet diminué que de 2 points pour passer de 72% à 70%. Une diminution qui est loin d’être suffisante pour compenser la hausse du trafic automobile liée à l’augmentation des distances…

La voiture plus que jamais reine pour les déplacements vers le travail

Si on s’intéresse maintenant à l’ensemble des déplacements pour se rendre au travail des habitants du grand territoire (et pas seulement les flux entrants sur la MEL), le constat n’est guère plus encourageant. Partout la voiture est majoritaire, et sa part atteint au minimum 66,5% pour la MEL, et se situe entre 80 et 86% pour les intercommunalités voisines.

Ce constat est vrai partout en France, même si l’ensemble des communautés d’agglomérations françaises font légèrement mieux avec une part modale de la voiture qui est de 79% en moyenne.

En ce qui concerne la MEL (66,5% de part de la voiture), par rapport aux autres Métropoles, la performance est certes légèrement meilleure que Marseille (69,3%), mais nettement moins bonne que Lyon (49,2%), Strasbourg (52,3%), Bordeaux (59,4%) ou même Dijon (61,6%). Selon ce critère, elle se classe à une médiocre 13e place sur les 19 Métropoles de province. On pourra objecter que la MEL possède une partie rurale, ce qui n’est pas le cas de toutes les Métropoles. Mais elle est également la 3e plus peuplée et certaines Métropoles sont bien plus petites et ne combattent pas à armes égales (Brest, Clermont, Orléans, Dijon, Metz…).

Si on regarde maintenant l’évolution sur les 4 dernières années disponibles (chiffres INSEE 2021 vs. 2017), on observe :

  • Quelques motifs de satisfaction : le vélo progresse partout (bien que la hausse soit légère en dehors de la MEL) et la voiture recule parmi les actifs de la MEL.
  • Une tendance générale négative avec une augmentation de l’utilisation de la voiture partout ailleurs, ainsi qu’un recul généralisé de la marche (en lien notamment avec l’augmentation des distances).

Pour des politiques complètes et cohérentes

Ce portrait de la mobilité domicile-travail met en lumière 2 grandes faiblesses du territoire du « Très Grand Lille » :

  • De profonds déséquilibres territoriaux en termes de localisation des habitations et des emplois. Ces déséquilibres se font largement au détriment des intercommunalités périphériques.
  • Un manque d’infrastructures pour des mobilités durables au quotidien, malgré un léger frémissement sur le vélo. Il y a peu de transports structurants en dehors de la métropole lilloise (hormis le tramway de Valenciennes et quelques Bus à haut niveau de service). De son côté, la MEL n’a pas vu la mise en service d’un nouveau transport lourd depuis 2000 (inauguration des dernières stations de la ligne 2 du métro) et il faudra encore attendre au moins jusque 2030 pour que les premières des 4 lignes nouvelles lignes de tramway soient mises en services.

Pour résoudre ces problèmes, il n’y aura malheureusement pas de solution magique. Une nouvelle offre ferroviaire (projet de SERM actuellement débattu et pour lequel Axe Culture a déposé une contribution), aussi qualitative soit-elle, sera très loin de tout régler à elle seule, d’autant plus qu’elle arrivera au mieux à l’horizon 2040.

Ce dont le territoire et ses habitants ont surtout besoin, ce sont des politiques cohérentes qui doivent reposer sur 3 piliers :

  • Un aménagement du territoire équilibré. Il faut une politique très ambitieuse pour développer les centres urbains du bassin minier et des Flandres, avec des logements mais aussi des activités économiques et commerciales. L’objectif est d’éviter qu’ils ne poursuivent leur déclin et qu’ils ne deviennent encore davantage des villes-dortoirs de la MEL. Et pourquoi pas y faire revenir des emplois pour permettre à ses habitants de trouver du travail sans avoir à faire de longs et pénibles trajets vers Lille ?
  • Cette vision territoriale doit s’appuyer sur une gouvernance à la bonne échelle et adaptée. Les différentes intercommunalités de ce grand territoire doivent entrer dans une logique de coopération afin de mettre en œuvre ces politiques cohérentes et collaborer pour trouver les ressources financières nécessaires aux investissements à réaliser.
  • Enfin, investir dans des offres de mobilités efficaces, d’abord pour les déplacements locaux. Améliorer la desserte ferroviaire entre Lille et le bassin minier est sans doute nécessaire, mais cela ne doit pas occulter le besoin d’avoir des offres adaptées au quotidien de tous. Il faut encore accélérer le développement des aménagements en faveur des piétons, des pistes cyclables, des voies de bus en site propre, et pourquoi pas la création de lignes de tramways là où elles sont nécessaires. Il faut là aussi de la cohérence et réduire le montant des investissements routiers (ils sont encore nombreux) est indispensable afin de dégager des marges de manœuvre budgétaires en faveur des mobilités durables.

Des perspectives nettement plus complexes que de tout miser sur une nouvelle offre ferroviaire comme le SERM, mais terriblement plus enthousiasmantes !

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