AVIS / Tour de 18 étages quartier Vauban à Lille : un beau projet architectural au mauvais endroit ?
Contexte
Les habitants du quartier Vauban à Lille ont eu connaissance d’un ambitieux projet immobilier, localisé sur le terrain de l’ancien collège Madame-de-Staël situé ici.
Le projet est constitué d’une tour de 18 étages intégrant principalement des logements et du commerce en rez-de-chaussée.
Très vite, des habitants se sont opposés au projets et ont constitué un collectif.
Deux aspects de ce projet ont poussé les citoyens à sortir les claviers afin de faire circuler une pétition et s’y opposer:
- La communication autour du projet de la part des institutions publiques compétentes et du promoteur ;
- La hauteur de la tour de (56 mètres pour 18 étages) et sa localisation dans un quartier résidentiel composé de maison et d’immeubles de faible hauteur.
1. La communication dépassée autour du projet
Le processus de concertation avec les citoyens autour de ce projet, a semble-t-il respecté les règles administratives, mais n’en demeure pas moins très limité et insuffisant.
Certes, les habitants ont eu connaissance d’un projet immobilier à venir, mais la hauteur de l’édifice constituait une information essentielle et qui aurait du faire l’objet d’une concertation préalable au travail des architectes.
A la place, nous avons un projet élaboré en catimini par les promoteurs avec l’aval des collectivités, puis présenté aux habitants une fois ficelé.
Avec de telles méthodes, il est compréhensible que ces habitants, surpris, contestent ce projet qui leur a été imposé et avec lequel ils vont devoir vivre.
Il est temps de revoir cette manière de concevoir l’urbanisme.
2. Sur le fond : la hauteur oui, mais pas n’importe comment !
Le projet sur le fond, concerne trois aspects : l’architecture, la hauteur et la localisation.
Pour ce qui est de l’architecture
Le projet de l’agence lilloise CAAU – Coldefy & Associés Architectes Urbanistes est de très belle facture. Il est élégant et très esthétique. Oui, nous aimerions avoir plus de tours de cette qualité à Lille. Comme l’a souligné la Voix du Nord, l’été 2016, il est vrai que nous retrouvons dans cette tour des caractéristiques similaires à d’autres projets architecturaux contemporains. Néanmoins, l’architecture, comme tous les arts créatifs, connaît des styles spécifiques à chaque période et chaque courant. C’est la chose la plus normale. Bravo pour le travail des architectes.
Pour ce qui est de la hauteur
Dans les grandes agglomérations, et même ailleurs, la hauteur est nécessaire car elle permet d’économiser du foncier. En effet, plus vous construisez haut, moins il vous faudra consommer de foncier. La hauteur est également synonyme de densité, favorable au commerce de proximité. En effet, la construction d’une centaine de logements au bout de la rue de la Bassée à Lille constituerait certainement une aubaine pour le développement du commerce local, relativement inexistant à cet endroit.
Donc, en soit, ce projet est positif.
Pour ce qui est de la localisation
Ce projet présente plusieurs défauts majeurs.
D’abord, en matière de cohérence du paysage urbain lillois, il apparaît difficilement compréhensible de construire une tour à ce point isolée. Rappelons-nous de la tour Marcel Bertrand, regardons la Tour Mercure à Tourcoing, ou encore la Tour Kennedy à Loos. Ces tours isolées ne fonctionnent pas car elles sont dans des contextes résidentiels de faible densité.
Ensuite, ce projet est relativement éloigné des transports en commun, et en bordure du périphérique, à 3 kilomètre d’ailleurs du futur projet Lillenium, futur centre commercial lui-même localisé en bordure du périphérique. Or, si nous devons densifier, c’est bien le long des transports en commun, en particulier du métro et du tram, et pas ailleurs.
Au total, ce projet risque de ne pas fonctionner avec son quartier. Les flux qu’il va engendrer seront en direction de l’autoroute plutôt que vers la ville.
Cette tour reproduit les mêmes erreurs déjà faites par le passé. Elle concentrera des personnes dans un environnement peu favorable : proximité directe du périphérique, pour les logements en hauteur vue sur le port de Lille ayant des flux routiers conséquents, éloignement des flux urbains, piétons et de transports en commun.
Les futurs habitants de cette tour seront plus facilement tentés d’aller consommer dans la zone commerciale d’Englos ou à LIllenium, directement accessible en voiture, plutôt que de favoriser le commerce proximité, inexistant.
Ce nouvel ensemble ne proposera pas une “densité profitable” à la ville et engendrera des effets négatif en matière de circulation.
Sur ces photos : environnement urbain du projet / sources google.maps
En conclusion
1. Oui, il faut rénover l’ensemble du collège Madame-de-Staël.
2. Non, il ne faut pas le faire à travers une tour déconnectée des formes urbaines actuelles, ce qui renverrait plusieurs signaux négatifs aux habitants du quartier et à la vie urbaine de la ville.
3. Non, ce site ne se situe pas en entrée de ville. Arrêtons de parler d’entrée de ville quand on se situe au cœur de l’agglomération lilloise. De ce côté-ci de l’agglomération, l’entrée de ville se situe plutôt à Loos et Haubourdin. Sortons de cette logique communale étriquée.
4. Oui, il faut être capable de construire des tours dans nos cœurs de villes afin de créer de la “densité profitable” à une vie urbaine agréable (espaces verts, etc.). Il faudrait être capable de les construire à Euralille, au Port de Lille près du métro et de la Deûle dans le cadre de la rénovation du quartier, à proximité de la tour Mercure à Tourcoing, etc. Tout en ayant le souci d’une « skyline » agréable ;
5. Non, Lille n’est pas et ne sera jamais New York, Melbourne ou Vancouver et il n’y pas de raison objective à vouloir créer de la hauteur de manière désordonnée ;
6. Non, Les projets urbains originaux ne se décrètent pas par le bon vouloir des élus ou des promoteurs immobiliers, sans l’aval des habitants. Ce sont les habitants qui vivent les quartiers, ils sont donc en droit de donner leur avis en amont des projets !
Réflexion concernant les tours
En France, des immeubles de grande hauteur souvent mal insérés
Pour répondre à cette question, nous pouvons d’abord nous demander si les français ont un problème avec les tours. A la vue des recours systématiques à la moindre annonce de construction de tours IGH ou non (ici ce n’est pas le cas), on peut facilement affirmer que oui. Mais plutôt que de s’arrêter sur le fait que les français sont ronchons, essayons de comprendre pourquoi.
Nous avons très peu d’exemples de construction d’IGH réussi en France. Le problème est qu’on a, comme souvent, tenté de s’approprier un modèle (USA, Canada, Australie) sans vraiment le comprendre. Par exemple, La Défense, le « Manhattan sur seine fantasmé », s’il est le plus grand quartier d’affaire d’Europe, est malheureusement un quartier mal inséré dans son environnement urbain peu agréable à vivre. On a séparé les flux piétons et automobiles sur une trop grande surface, laissant cette impression de vide hors heure de pointe d’accès au bureau. Vide qui se traduit par un sentiment d’insécurité tangible une fois la nuit tombée.
En province, on a souvent l’exemple de quartier d’affaire avec un IGH isolé, très longtemps la Tour de la Part-Dieu était la seule à percer le ciel lyonnais, idem pour Nantes, Marseille, Lille… Tant d’exemples de quartiers d’affaires ayant pour symbole un IGH qui s’est mal inséré à son environnement urbain.
De plus impossible de parler de tours en France sans évoquer les Grand Ensembles urbains qui sont les symboles architecturaux d’une France déchirée socialement.
Faut-il renoncer aux tours ?
Absolument pas. Au contraire même il faut les favoriser, mais pas n’importe où et pas n’importe comment.
En effet, la densité est propre à la définition d’une ville. Dans le cas des tours, bien qu’il y ait beaucoup d’exemples où elle semble nuire à la qualité de vie de ses habitants et de la ville (ex. Tour de Loos), il existe néanmoins pas mal d’exemples où lorsqu’elles sont construites de façon à apporter une amélioration de la qualité de vie (belle vue, proximité espace verts, transports, commerces) de ses habitants permettent une “densité profitable” à la ville.
Lequel de ces environnements vous plaît-il le plus ?
D’un côté nous avons une “densité profitable” qui permet à ces villes d’être parmi les plus ambitieuses au monde et les plus agréables à vivre grâce à des espaces verts en quantité, permise aussi par la densité. C’est cette densité qui est proche du flux piéton, des commerces, de l’emploi, des transports, et qui participe à créer une vie et une ambiance fascinante.
De l’autre nous avons un environnement peu attractif, où la densité est défavorable car à l’écart de tous flux, où la densité n’est pas intégrée dans son environnement, où la tour semble une simple erreur urbaine.
Tour Kennedy à Loos : ce qu’il ne faut plus faire.
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